6 mai 2014

Some Bead recordings and other stuff

Alizarin Phil Wachsmann Roger Turner Bead Recordssp CD10
Enregistré récemment suite à plusieurs rencontres successives, ce duo consacre la synthèse et l’aboutissement de la recherche improvisée radicale « libre » après une réflexion et une pratique de toute une vie, dédiée quasi – exclusivement à cette expression musicale dans la « tradition » londonienne… J’ai fait, il y a peu la chronique de Gateway 97, un quartet (WTTF pour Phil Wachsmann, Pat Thomas, Roger Turner et Alexander Frangenheim) dans le quel interviennent ces improvisateurs essentiels que sont Phil Wachsmann pour le violon et Roger Turner pour la percussion. J’étais ébloui par les éclairs d’imagination qui traversaient ce chef d’œuvre. C’est dans une autre direction que se développe la musique de ce beau duo, Alizarin, dont les titres font allusion aux couleurs vives du « trompe l’œil set » de Catherine Hope – Jones qui s’étend sur les surfaces de la pochette et du CD. Red introduction, bitter black, salt green, viridian black, on the edge of white… etc … On aimerait caractériser les improvisations minutieuses et relâchées qui défilent, mais le ton donné aux échanges et l’inspiration sereine nous obligent à écouter avec profondeur cette musique avant de nous mettre à penser à ce à quoi elle ressemble. Alizarin nous permet de suivre l’infini cheminement de la pensée et de la gestuelle précise et retenue de deux orfèvres de l’exploration improvisée. Plutôt dans les tracés hyperboliques et des dérapages peu prévisibles que dans « les matières ». Phil Wachsmann privilégie une qualité sonore « musique de chambre » et un sens mélodique évident même lorsque ses idées frisent l’abstraction. Roger Turner semble s’égarer sur les surfaces de ses peaux et métaux.
Le duo se concentre et développe des échanges dans un mode léger voire sautillant aux antipodes des décharges énergétiques auxquelles se livrent le batteur avec le tromboniste Hannes Bauer et le clavier électronique d’Alan Silva ou avec l’équipe abrasive de Konk Pack (Thomas Lehn, Tim Hodgkinson et RT). …. Le travail sur le son est corroboré par un sens de la forme évident. Une élégance rare et une écoute récompensée de bout en bout. Le violoniste s’écarte du virtuosisme pour affirmer une maestria vivifiante des intervalles incertains « post Schönberg – Cage » avec un sourire en coin bien British.  Le percussionniste sollicite une variété de frappes, grattements, résonnances, piquetages, secousses etc… très étendue avec la plus grande légèreté. Un sens de l’épure elliptique partagé et une dynamique sonore relâchée est l’atout cœur de cette musique. Evitant les pétarades hyper-kinétiques de la free-music, auxquelles Wachsmann et Turner sont historiquement associés, elle trace un extraordinaire manifeste du ralenti. Comment s’exprimer en prenant son temps sans se presser. Une écoute à l’écart des chemins aujourd’hui balisés des ismes en tout genre.
Le label Bead a initié la documentation des improvisateurs radicaux londoniens un peu à la même époque qu’Incus (label de Derek Bailey et Evan Parker) durant les années septante et prolonge son existence en distillant de petites merveilles telles que cet Alizarin. Toujours à suivre même après quarante ans d’existence.

Untuning the Sky Chris Burn et Matt Hutchinson Bead records Special CD 09 SP

Enregistré en 2005 / 2006 par deux incontournables de la scène improvisée londonienne abonnée à la série de concerts Mopomoso à l’ancien Red Rose où a été captée une partie des pièces de cet album. Le pianiste Chris Burn, qui joue ici de la trompette,  a co-dirigé cette série avec John Russell et a collaboré longtemps avec John Butcher. Matt Hutchinson a développé l’utilisation des synthétiseurs et de l’électronique avec ductilité et lisibilité entre des pointes mezzoforte avec toutes les nuances de la dynamique jusqu’à la limite de l’audible. On l’a souvent entendu avec Phil Wachsmann, avec qui il a enregistré un beau duo (Startle the Echoes / Bead), et au sein du Chris Burn Ensemble dont il semble former le noyau de base avec la trompette de son leader. Chaque instrumentiste partage un sens du souffle, une métaphysique des tubes, l’électronicien évoquant les dérapages subits d’une embouchure et le trompettiste agitant l’air dans l'espace. Celle-ci est le lieu du passage du vent, la pression des lèvres concassant la colonne d’air. La recherche des timbres et des sons est absolument fascinante loin des éclats rituels de la free – music. La projection des sons électroniques est en tout point remarquable, les fréquences se répandent naturellement dans l’espace créant des formes en mouvement comme ne pourrait le faire un instrument acoustique, justifiant par là son usage. On oublie vite qui joue quoi pour se concentrer sur l’orchestration du duo. Chris Burn semble être un trompettiste du dimanche, un coloriste mélancolique qui transforme un jeu volontairement minimal dans un discours musical pertinent, fantomatiquement suspendu au-dessus des drones en lents glissandi brumeux (Salvation Echoes). Chaque pièce renouvelle complètement la géographie sonore de ce duo improbable. Dans Birdwing Shadow, Matt est au piano et Chris fait une superbe démonstration des timbres fous qu’il tire de son instrument en l’explorant méthodiquement. Vraiment remarquable.  La palette sonore des claviers électroniques de Matt Hutchinson est mise étrangement en valeur par les allusions mélodiques de deux notes et demi du trompettiste mieux en fait que ne pourrait le faire un saxophoniste impressionnant de technique. Je rappelle que c’est avec ces musiciens que se sont révélés les tenants de la « nouvelle » improvisation parmi lesquels figurent Rhodri Davies, Mark Wastell, Phil Durrant, Jim Denley, Axel Dörner etc… mais aussi Butcher, Marcio Mattos… Il faut donc ne pas hésiter à découvrir ces deux équilibristes d’atmosphères, artistes sensibles de l’extension du sens. Les improvisateurs British ont un sens inné pour cultiver le déraisonnable, l’excentrique et cet esprit de fantaisie qui est la marque de l’improvisation. Vous trouverez ici une démonstration irréfutable. Avec un matériau similaire, des Germaniques nous auraient rasé sans pitié. Bravo pour Matt Hutchinson et Chris Burn !!


Chorui Zukan Itaru Oki trumpet flugelhorn improvising beings ib23
Itaru Oki est un vieux routier du jazz d’avant-garde établi en France de manière quasi permanente depuis l’époque où son ami et mentor Alan Silva avait déposé ses pénates rue Oberkampf (IACP). Non content d’avoir participé à moultes aventures en compagnie de Silva et cie dont le fabuleux CCO qui avait fédéré des douzaines de musiciens de Frank Wright, Denis Colin et Didier Petit à Arthur Doyle, Itaru Oki a tourné avec Noah Howard en Allemagne à la grande période FMP et Total Music Meeting du Berlin des seventies. Cela l’a amené à enregistrer un beau trio chez FMP (One Year) avec deux pointures historiques de l’Eurojazz, Ralf Hübner, batteur historique de Mangelsdorff, Manfred Schoof, … et le clarinettiste basse Michel Pilz, pilier du quartet de Schlippenbach avant Evan Parker et le plus brillant clarinettiste basse de sa génération avant les Sclavis, Hans Koch et consorts. Excusez du peu. Né en 1941, il a été un pionnier de l’improvisation totale et du jazz libre  au Japon avant son arrivée en Europe, ayant travaillé avec le légendaire batteur Masahiko Togashi et le pianiste Masahiko Satoh. Peu importe son parcours, lorsqu’on prête une oreille à ce disque, on est séduit immanquablement.
Toujours apprécié dans son pays d’origine, il est négligé dans l’Hexagone (tout comme une série d’expatriés de longue date tels Steve Potts, Kent Carter…) . Nul n’est prophète surtout dans son pays d’adoption. Heureusement la fée Improvising Beings veille et grâce à l’engagement indéfectible de Julien Palomo,  nous tenons un merveilleux album solo (de trompette) fait d’improvisations audacieuses et subtiles alternant avec des standards transformés avec un goût désinvolte et une réelle musicalité. I am Getting Sentimental Over you, I wish I knew, Misterioso, You Are Too Beautiful et Round Midnight se trouvent ainsi suspendu entre une lecture intimiste et détachée des mélodies originales et des accélérés entre la trame des accords et des notes extrapolées avec l’astuce des anciens… Les improvisations titrées en japonais nous le font entendre avec ses trompettes prototypes et d’étranges multi voicings en temps réel. Je n’en connais pas l’explication technique, mais sa musique n’est fort heureusement pas tributaire que d’une disposition instrumentale particulière mais plutôt d’une démarche originale naturellement inspirée. Effilochage incisif de la colonne d’air proche d’un sifflement inouï, pression dense / contraction de l’air dans l’embouchure, savoureux grain du son, vibration pavillon, pistons coussins d’air, tubulures du rêve … un aspect de son travail renvoie au grand Bill Dixon, comme très peu de ses collègues d’ailleurs. Un solo ? La trompette mérite qu’on la laisse flotter dans l’espace ; solitaire, elle dessine une géographie, trace un univers…. La critique professionnelle nous fera valoir qu’il y a référence plus incontournable de l’instrument dans le jazz libre (Cherry, Lester Bowie, Leo Smith et maintenant Peter Evans). Je répondrai que si on s’en tient jamais qu’à une poignée des mêmes (famous names), on finira par s’ennuyer…
J’ai donc moi-même pris beaucoup de plaisir à me plonger dans le souffle singulier d’Itaru Oki, à cerner son jeu fin et à suivre le fil de ses belles idées avec le sourire qui naît de l’entendre les résoudre et les transformer avec une sincère originalité. Un excellent musicien qu’une vie dédiée entièrement à la musique et à son partage a bonifié en essence et en substance. Merveilleuse musique.


Eight Improvisations Neil Metcalfe Daniel Thompson Creative Sources
Neil Metcalfe est un remarquable flûtiste britannique qu’on entend régulièrement à Londres dans les nombreux clubs de la ville et dans plusieurs concerts relativement suivis. D’apparence presqu’aussi reclus que son ami le guitariste prodige Roger Smith, Neil Metcalfe est régulièrement sollicité par de nombreux collègues. Evan Parker, Paul Dunmall, le regretté Tony Marsh, le bassiste Nick Stephens l'ont associé à leurs projets et enregistrements ce poète de la flûte. Technique ? Avant- garde ? Plutôt raffinement de l’inspiration, musicalité qui coule de source. Il avait récemment enregistré un beau trio (chroniqué ici même) avec justement, la guitare de Dan Thompson et la contrebasse de Guillaume Viltard (Garden of Water and Light / FMR). Nous retrouvons ici un excellent Daniel Thompson qui améliore son jeu et ses propositions musicales au fil des mois. Rien d’étonnant, cette progression, Londres étant une mégalopole où se sont multipliées les possibilités d’improviser librement et de rencontrer des musiciens inspirés de manière exponentielle. En comparaison, Paris est assez décevant. Rien d’étonnant non plus l’écart générationnel, Metcalfe pourrait bien être le grand père de Thompson, car les british cultivent le « Pourquoi pas ? » : hein ! Si on essayait de jouer ensemble, sans a priori ni arrière-pensée, uniquement pour le plaisir de la découverte. Le sens du fair – play bien réel, fait qu’on essaye tout pour que l’autre se sente à l’aise et chemin faisant, l’évidence de la relation du dialogue et des singularités qui se comprennent et s’épousent font naître une musique commune. Face à un flûtiste aussi subtil, élégant, poète et rêveur, Daniel Thompson déploie son imagination et des propositions de jeu qui développe un contrepoint, des trames, des écarts et des jointures. Indépendance et connivence, collusion et collision. On oublie son Derek Bailey, son Roger Smith, son John Russell et d’autres pour apprécier pleinement un jeune guitariste profondément musical. Son champ sonore se réfère à DB et JR, mais c’est un adulte inventif qui transcende son difficile instrument, la guitare, au niveau de sa fratrie, Benedict Taylor et Tom Jackson (respectivement violon alto et clarinette virtuoses) dont les très beaux Songs from Baldly Lit Rooms figurent désormais dans mon anthologie personnelle de l’improvisation libre. A découvrir et surtout à suivre !!



Sens Radiants Daunik Lazro Benjamin Duboc Didier Lasserre Dark Tree DT4

Faisant suite à un excellent premier album, Sens Radiants est une improvisation d’un seul tenant de 55’28’’ qui occupe tout l’espace d'un bien bel album. Le nom du label, l’Arbre Sombre, évoque une ramure épaisse et imposante, à l’ombre de laquelle rayonne la musique. Mais celle de Sens Radiants, d’une constante épaisseur, fait songer à autre chose qu’à des ramifications. Contrairement à tous les trios souffleur(s) contrebasse batterie depuis Spiritual Unity (Ayler Peacock Murray) jusqu’à ceux de Charles Gayle, Fred Anderson et de Peter Brötzmann, l’équipe de Sens Radiants situe son propos loin de l’énergie expressionniste des susnommés ou de l’extrême multiplicité des lignes du trio Parker/Guy/Lytton.  Elle fait sienne l’exploration introspective des sons et des gestes comme l’ont développée les Doneda, Blondy, Mariage, Guyonnet, Sophie Agnel, Christine Sehnaoui et beaucoup d’autres. Un musicien français réputé pour son attitude pionnière, aussi ouvert qu’exigeant (auto-exigeant) et musicalement radical, et dont je tairai le nom, m’a un jour écrit il y a une dizaine d’années à propos des récents développements dans l’improvisation radicale décrite à l’époque comme « réductionniste ». Il y décelait déjà une forme de « posture » (minimalist attitude) qui pourrait se révéler dommageable pour la qualité de la musique et son appréciation communautaire.
Celle de Sens Radiants, spontanée et poétique, constitue une belle réponse positive et exemplaire face à cet épiphénomène hexagonal. Plus que collective, cette musique est unitaire et unifie chaque son de Lazro, Duboc et Lasserre, soit sax baryton, contrebasse et caisse claires et cymbales en une symbiose totalisante et épurée. On est loin de l’enchevêtrement des lignes, des arcs et des points, de l’art du ricochet, du call and response, des parallèles qui se rejoignent et de cette alternance accélérations subites et effrénées / unisson statique de la free-music. Et pourtant le sax baryton gronde et grogne par intermittence sur une note tenue qui s’évanouit vers l’aigu, mais le contrebassiste et le percussionniste créent des tensions imprévues avec de simples mini-crescendi de frappes et de frottements. Ceux-ci s’éteignent et renaissent sans prévenir, comme dans une nature ensauvagée. Il y a une vie intense et plusieurs écoutes sont nécessaires pour la pénétrer. Leur acte de jouer, sincère et engagé, naturel et non convenu, exprime l’esprit inextinguible des improvisateurs, ceux qui autant par choix intime que par conviction, ne regardent plus dans le rétroviseur, mais droit devant… Un très bel album.

Secluded Bronte : Secluded in Jersey City Pogus Productions
Adam et Jonathan Bohman, Richard Thomas.

Le nom du groupe a été imaginé par Adam Bohman, trouveur de mots et poète recycleur du contenu de journaux publicitaires et de magazines dont il coupe les mots de manière aléatoire et d’où sourd un signifiant obstiné et indéfini mais profondément touchant. Sans parler de ses talkings tapes…On en trouvait des échantillons de choix, débités dans le Back To The Streets des Bohman Brothers, duo lunatique surréaliste qu’il partage avec son frère Jonathan Bohman, aussi dissemblable que plus british que çà, tu meurs.  Ou dans le duo d’Adam Bohman avec Al Margolis a/k/a If Bwana, patron de Pogus Productions, un label chicagoan.
Je mentionne quand même le profil du label Pogus : un album d’AMM jouant Treatise de Cardew et publié bien avant que ce soit improfashionable, Annea Lockwood, Leo Kupper, Lionel Marchetti, Philip Corner, Pauline Oliveros, Alvin Lucier, David Rosenboom, Gen Ken Montgomery, Roger Reynolds, Fred Lomberg Holm, Daniel Kienzy plays Tom Johnson et Margolis/If Bwana lui-même, soit une brochette impressionnante de mavericks du contemporain alternatif et du sound-art classieux. C’est dire à quel niveau d’authenticité et de vérité se situe l’art des frères Bohman (jamais entendus en France) et celui de Richard Thomas  en qui ils ont trouvé un véritable « brother in arms ». Secluded Bronte est un trio où Richard Thomas se fond au tandem londonien pour faire une belle équip(é)e. Cet enregistrement très court (5 morceaux pour 22’24’’) réalisé live à WFMU /Jersey City le 7 novembre 2002, lorsqu’Adam Bohman s’était produit au Tonic avec entre autres Rhodri Davies et Mark Wastell. La pochette dépliante, où trône une sorte de centrale électrique, nous explique que ces trois-là jouent des cymbal, knives, forks, bells, file binders, tomato slicer, egg slicer, screw threads, fishing line, light bulbs, bowls, rubber bands, balloons, cardboard, plastic, ceramic, metal, polystyrene, straw, reed hosepipe serpent, balloon horn, tubes, voice, wooden box, glasses, whistling, tiles, springs, conduction, coil, aerosol can, talcum powder bottle, toy piano, record rack, prepared strings. Dans cette énumération délirante d’objets amplifiés par microcontact, agités ou livrés à eux-mêmes, je voudrais ajouter une installation électronique et des drones, clairement perceptibles au milieu d’un charivari mouvant et frictionnel. Les frottements de ressorts, d’objets métalliques, de verres et de cordages préparés d’Adam en constituant l’élément dynamique, au sens musical du terme. Un excellent concentré de folie sonore où se subvertissent les concepts d’ambient, d’electronica ou de psych-noise avec une bonne dose d’improvisation et de non sense. Pas question de se prendre au sérieux, ni d’amuser la galerie, mais surprendre, étonner et nous emmener en voyage.

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