11 décembre 2015

Jean-Luc Petit - Do Tell trio - Gjerstad/ Lonberg-Holm/Stephens/Moholo - Lisbon Connection / Elliott Levin


Jean Luc Petit Matière des souffles improvising beings ib27

Julien Palomo, le responsable d’improvising beings est un des plus grands risque-tout de l’édition numérique en musiques improvisées. Soit il produit un coffret post psychédélique – acousmatique de 8cd avec un revenant improbable comme Sonny Simmons et s’entiche du pianiste maudit, pionnier du free jazz français, François Tusquès, du trompettiste bohème Itaru Oki ou d’un Giuseppi Logan miraculé et se fait passer presque pour un ringard auprès de la free-musicosphère. Ou, alors, il présente des improvisateurs libres plus radicaux complètement inconnus en solo comme le tromboniste Henry Herteman ou ce clarinettiste contrebasse, Jean-Luc Petit, dont on se demande d’où ils sortent. Sans oublier le « critique » amoureux d’Improjazz et batteur sensible, Luc Bouquet,  en trio avec Jean Demey et Ove Volquartz , lui aussi à la clarinette contre basse…Vraiment atypique ... Les branchés se foutent du trompettiste Itaru Oki, par exemple, lui aussi abonné aux salles obscures. Mais comment expliquer qu’un musicien aussi couru qu’Axel Dörner enregistre un duo  avec lui ?? Leur Root of the Bohemian est une véritable merveille ! Le dernier coup dingue de Palomo est le coffret de 4 cd’s de Jean Marc Foussat alternative oblique  et le double album hommage à feu Abdelhaïd Bennani avec Alan Silva, Burton Greene et Chris Henderson aux percussions électroniques. Bref un rassemblement de tous les artistes dont aucun festival classieux et bien sur soi (même d’improvisation) ne veut.  Quand on aime, on ne compte pas !
Matière des souffles est l’archétype du titre téléphoné, car toute une avant- garde radicale parle de matières et de textures et aussi de souffles… Mais l’écoute de ce disque solo sans prétention pour sax baryton et clarinette contrebasse révèle un amour du son, une qualité de timbre graveleuse, sombre, un parcours les yeux rivés aux étoiles, une déambulation poétique, un allongement du temps dans la rêverie d’un jour qui n’en finit pas. Le souffle d’Abrasives Incursions fait légèrement grincer le grave, vibrer l’air comme un tremblement amoureux qui se retient de peur de tout perdre. La technique de Jean-Luc Petit n’est pas étalée, mais le contrôle du son est bien présent jusqu’au fond de la note ou au bord du murmure, en douceur. On dirait un Joe McPhee qui joue pour lui-même, perdu au fond d’un jardin… au baryton. La clarinette contrebasse - Improvising beings a aussi produit un autre  clarinettiste contrebasse, Ove Volquartz ! – se déplace sur un nuage ou dans un léger brouillard.
Ce n’est pas révolutionnaire, radical ou « nouveau », non ! Mais ! Il y a une émotion profonde, vécue, qui ne crie pas mais se déplace dans une apesanteur somnambule (Le Noir et le Goudron). Puis, il se retourne, sent qu’il est suivi et accélère le pas avec des harmoniques piquées. Le grave est toujours présent, mais change de teinte, d’éclairage. L’ombre se dissipe… Simple et merveilleux, ce Jean-Luc Petit. Chaque note, chaque son est pesé, senti, ouvragé sans précipitation avec de belles nuances de timbre. Une belle histoire comme on n’en entend peu. Julien Palomo a eu la main heureuse et nous aussi. Superbe cadeau de Noël.

Hot End Do Tell plays the music of Julius Hemphill Amirani
Mark Weaver au tuba, Dan Clucas au cornet et Dave Wayne à la batterie interprètent six compositions du saxophoniste disparu. Julius Hemphill nous a laissé des compositions inoubliables comme Dogon A.D., The Hard Blues ou G Song. Sorry pour mon ignorance, mais ce sont les seules que j’ai écoutées il y a quasiment quarante ans.  Particulièrement Dogon AD avec Baikida EJ Carroll à la trompette, Abdul Wadud au violoncelle et Phil Wilson à la batterie sur l’album éponyme (Arista Freedom). Ici la version du trio DoTell donne plus d’espace à la batterie alors que la partie de Phil Wilson était minimaliste pour donner de l’espace au violoncelle. Le tuba pulse le rythme dans une voie relativement proche de celle du violoncelliste de l’enregistrement original de 1972 (Dogon AD Mbari réédité par Arista). Le cornettiste prend sur lui la partie soliste avec les honneurs après avoir marqué les accents du thème aux instants précis ce qui fait tout le sel de ce morceau inoubliable. La musique d’Hemphill est gorgée de blues et nous faisait entendre des échos chitlin du Rn’B du Sud. Cet aspect afro-américain spécifique est bien rendu par le cornettiste soulful à souhait. Cette filiation blues est moins prégnante ici, car Do Tell s’est attaché avant tout à rendre intéressant l’aspect formel des compositions, de leurs éléments rythmiques et mélodiques et leur interaction. Le cornettiste, tout-à-fait dans la lignée deep soul, a bien du mérite à souffler et à faire vibrer son instrument, un des plus difficiles à manier. J’aime vraiment ce qu’il fait , comme dans the Hard Blues.  En écoutant cet excellent souffleur et en le comparant avec Bobby Bradford, vous comprenez pourquoi BB est considéré par les musiciens comme un génie de l’instrument et qu’il avait sa place dans le quartet d’Ornette vers 1962. Cela n’enlève rien au talent de Dan Clucas. De même, Mark Weaver a une belle mise en place en apportant le zeste de funk nécessaire à la musique du trio. La cohérence et la mise en place de l’ensemble et le son du cornet créent une belle carte de visite pour une musique vivante qui réjouira le public curieux du Nouveau Mexique et alentour.

Frode Gjerstad Fred Lomberg-Holm Nick Stephens Louis Moholo Distant Groove FMR cd385-115

Alternant la clarinette et le sax alto avec un coup de clarinette basse, le souvent inspiré Frode Gjerstad est entouré d’une solide équipe d’improvisateurs de haut-vol. Louis Moholo est une légende vivante de la batterie. On l’entendit déjà, il y a presque cinquante ans, à Antibes avec les Blue Notes, à Buenos Aires avec Steve Lacy et à Amougies avec Chris Mc Gregor. Depuis lors, il ne s’est jamais arrêté de jouer exclusivement avec ses compagnons les plus proches sans chercher à faire carrière tous azimuts. Keith Tippett, Elton Dean, Mc Gregor, Harry Miller, Irene Schweizer, Jason Yarde, Sean Bergin, Tchicaï à l’occasion. Nick Stephens fut le lieutenant de John Stevens durant une vingtaine d’années dans de nombreux groupes et s’est révélé un super-contrebassiste entre autres avec Frode Gjerstad. Son label Loose Torque a documenté leur association durable avec un bel album avec Louis Moholo. Gjerstad a débuté sa carrière dans les années 80 avec John Stevens et Johnny Dyani dans le trio Detail, quoi de plus naturel et logique que de le retrouver aujourd’hui avec Stephens et Moholo, soit LE bassiste et LE batteur  de référence de chacun de ces musiciens disparus et inoubliables. Le violoncelliste chicagoan Fred Lonberg-Holm  est un véritable routier de l’improvisation ayant travaillé intensivement avec le batteur Michael Zerang, Hamid Drake, Ken Vandermark et dans le Peter Brôtzmann Octet. On le trouve aussi dans l’improvisation libre pointue avec Charlotte Hug ou John Russell. Et donc son association avec Zerang et Hamid Drake ne peut que le mener à jouer avec  le sud-africain Louis Moholo, car ces deux percussionnistes sont connectés à une autre conception des rythmes, plus africains qu’afro-américains. Et comme Gjerstad a aussi pas mal joué avec Hamid Drake … Donc, tout çà pour dire que la réunion de ces musiciens est véritablement organique et basée sur des connivences profondément amicales. Des vies entières. Le titre Distant Groove semble nous informer que cette session est consacrée à des improvisations à l’écart de ce free-jazz bouillonnant et musclé auquel on serait en droit de s’attendre de leur part. Ils tissent leurs toiles en créant un espace pour que chaque musicien puisse « respirer », bien souvent en « pulsations » en fréquences lentes ou medium. Ce relâchement dans l’effort permet au saxophoniste d’explorer les altérations des timbres et les variations infinies du cri et des harmoniques. Dans ce contexte, Gjerstad ne joue pas « au-dessus » des trois autres comme le font généralement moult saxophonistes free expressionnistes qui pilotent littéralement leur trio avec une énergie projetée au maximum. Le norvégien, lui, intériorise plus ses interventions au sein du quartet dans un rapport d’égalité sonore, aidé en cela par l’approche d’écoute mutuelle du violoncelliste. Nous avons donc affaire à un Louis Moholo coloriste inspiré des sons, loin de l’onde de choc polyrythmique  qui soulève littéralement un orchestre. L’album Sult (FMR) du duo Moholo – Gjerstad était une belle surprise d’interactions subtiles. On retrouve ici cette volonté de découverte interpersonnelle où chacun épaule les autres ou s’échappe instinctivement des contraintes en proposant d’autres voies. Un bel album.

Lisbon Connection & Elliott Levin w Luis Lopes Hernani Faustino Gabriel Ferrandini JACC records

Lisbon Connection : avec ses labels de musique improvisée et jazz libre intrépides comme Creative Sources et Clean Feed, ses lieux ouverts et le Festival de la Fondation Gulbenkian, Lisbonne est devenue un vrai lieu de rencontres pour ces musiques. D’autres petits labels suivent dans la foulée comme  Cipsela (un solo exceptionnel du violoniste Carlos Zingaro) et JACC records dont le magnifique Day One Quartet avec encore Zingaro et le clarinettiste João Pedro Viegas, a été chroniqué ici il y a peu.  Le guitariste Luis Lopes, le bassiste Hernani Faustino et le batteur Gabriel Ferrandini aiment recevoir un invité de passage dans leur ville, tout comme leur camarade Rodrigo Amado. Cette connection de Lisbonne avec le saxophoniste et flûtiste Elliott Levin est bien réjouissante. Levin est lié à la mouvance Sun Ra et qon ne l’a quasi jamais vu en Europe et s’il a « une carrière », elle semble bien discrète. Son style au sax ténor a quelque chose d’original et touchant dans sa manière de tirer sur les notes et de pincer l’anche (Ayler). On se souvient de ses albums CIMP A Fine Intensity et Soul Etude avec le tromboniste Tyrone Hill du Sun Ra Arkestra. Free-jazz donc, mais dans un mode improvisation totale comme Brötzmann et les autres. Après un prélude vocal du saxophoniste qui s’exclame, on entend se dresser le sax ténor charnu, intense et speaking in tongues. J’aime beaucoup car c’est authentique. La prise de son ne l’avantage pas, ce qui est un peu dommage. Dans les morceaux suivants, on l’entend rebondir à la flûte et c’est une autre facette de sa musique. Hernani Faustino et Gabriele Ferrandini forment un tandem où se marquent une réelle empathie, un drive énergique et l’esprit d’aventure. Avec Lopes, ce sont des activistes infatigables qui évoluent dans un mode tranchant en repoussant les limites du free-jazz tout en se frottant à des improvisateurs incontournables avec beaucoup de plaisir. Cela doit être un plaisir de jouer avec eux. Le guitariste Luis Lopes est assez noise – rock avec des effets. Dans Lis Bow / Blow … Ahh ! , après le beau moment de flûte, vroumm… la guitare décolle « à fond » et le groupe accélère en trio : ça « dépote » ! Ensuite le saxophoniste intervient quand  la guitare s’arrête. Dès lors, le tandem basse - batterie descend de régime pour épouser le jeu plus modéré, mais plein d’âme du saxophoniste. Ce sont de solides musiciens … mais j’ai une petite réserve quand même. Il y a un déséquilibre dans cette association entre Levin d’une part et les Lisboètes de l’autre, question approche musicale. C’est ce que j’ai ressenti en écoutant l’album et surtout le dernier morceau… Cela dit, si vous cherchez des saxophonistes ténor free, Elliott Levin est un client à suivre tout comme les opus mieux cadrés des Lisboètes.

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