24 novembre 2015

Microlabels Improvisés et Rééditions

Day One Carlos Zingaro / Ulrich Mitzlaff / João Pedro Viegas / Àlvaro Rosso  4tet  JACC

Violon, violoncelle, contrebasse et clarinette basse, ensemble d’improvisation contemporaine, le Zingaro/Mitzlaff/Viegas/ Rosso 4tet conjugue l’écoute intense, l’intuition de formes superbement construites dans l’instant, un sens de l’épure que ne renie pas une expression conviviale. Quelques traits, une idée mélodique décalée ou rythmique, des enchaînements brefs d’impulsions et de coups d’archet synchrones et une trame s’ébauche, des jeux épars se complètent. Improvisation concertante et mesurée pour créer un espace commun où la musique prend son temps, prend corps et les musiciens leurs marques. Cela s’appelle jouer comme les quatre doigts de la main. Des miniatures ou des pièces de consistance comme Cells and Patterns 14:47 and Little Grey Men 13:13 créent une diversité de propositions qui alimentent l’écoute. Ecriture, improvisation, contemporain ? Viegas souffle les harmoniques à demi saturées ou l’anche semble vibrer toute seule se confondant avec le chœur des cordes. Une certaine sagesse dans le jeu collectif ou une philosophie de la complémentarité paisible. Des cadences frottées tressautent et la clarinette basse sécateur tranche et frictionne les barres de mesures. De beaux équilibres avec quelques éclats maîtrisés ou échevelés (Little Grey Men). Day One est un beau moment partagé qui se laisse réécouter. On pense aussi aux projets de Kent Carter pour Emanem avec Albrecht Maurer et les clarinettistes Theo Jorgensmann et Etienne Rolin (Rivière Composer’s Pool), Kent Carter dont Zingaro fut le compagnon dans un trio mémorable.

Grounds Louis-Michel Marion poème méditation sur la corde grave
Cinq Strophes Louis-Michel Marion solo Kadima Collective.

La presse spécialisée ou semi-spécialisée qui traite du jazz contemporain et de l’improvisation tend à se focaliser sur une série d’artistes notoires alors que ce qui rend la scène improvisée fascinante est cet univers quasi-infini de musiciens de grand talent dont on ne se lasse pas. Parle-t-on contrebasse et les plumitifs nous reviennent sempiternellement avec Joëlle Léandre, Barry Guy, Barre Philips, feu Peter Kowald et maintenant, John Edwards. On a déjà presque oublié Paul Rogers, on ignore un Simon H Fell (qui est aussi un chef d’orchestre – compositeur de grande envergure), Ulli Philipp, Damon Smith et beaucoup d’autres… Le contrebassiste Louis-Michel Marion est un véritable improvisateur dont la participation dans le Clinamen trio et leur cédé « Décliné » (avec  Jacques Di Donato et Philippe Berger) fait de lui un musicien à suivre. J’en ai fait la chronique dans un numéro précédent.
A la longue c’est chiant d’écouter toujours les mêmes. Un musicien aussi célébré qu’ Evan Parker, qui a ouvert toute grande la porte sonore du saxophone alternatif et que beaucoup idolâtrent, est, lui, un inconditionnel de ses collègues qu’il trouve passionnants : John Butcher, Lol Coxhill, Michel Doneda, Stefan Keune, Urs Leimgruber, Ned Rothenberg, Tom Chant etc… trouvant que le fait d’être né plus tôt etc… n’est pas un argument… de vente… Donc, faites comme Evan Parker, partez à la découverte d’autres improvisateurs même s’ils ne jouent pas dans les festivals qui comptent … Et donc, comme contrebassiste, Louis-Michel Marion est un sérieux client
Le propos de Grounds, enregistré en 2012 est de travailler, explorer, faire trembler la seule corde grave à l’archet en allant jusqu’au bord de l’audible à la limite de l’infrason. Ce pourrait être un exercice de style, mais notre praticien exigeant et talentueux en fait un mirage de l’inconnu, une recherche éperdue de vibrations bienfaitrices durant trente-trois minutes. Un moment radical, intrigant…
Si vous préférez quelque chose de moins extrême, une bonne pioche sur le label israélien Kadima : Cinq Strophes du même Louis-Michel Marion. Voilà ce qu’on aime dans la contrebasse improvisée depuis le fabuleux et prémonitoire Journal Violone de Barre Philips enregistré en 1968 et le Was Da Ist de Peter Kowald : une vibration multi-dimensionnelle, un jusqu’au bout de la recherche, la beauté du geste, une écoute de soi exigeante, des couleurs, des sons qui bruissent, grincent, éclairent, des pizzicati qui dérapent, s’éparpillent, croisent un archet effilé… L-M Marion fait aussi subtilement deux choses à la fois avec inspiration comme dans ces magiques  first steps de la plage 2. Travail à l’archet géant ! Rien à envier à Peter Kowald ! Cette musique a une âme et procure un plaisir, celui de l’artisanat fait main des sons libres arrachés à l’inertie du gros violon, sublimant les incartades auxquels sa nature consent en un instant de vérité. Magnifique.

Pool North Adam Golebiewski Latarnia records # LA005

Un excellent album de percussions solo sur « drumset, objects » enregistré en 2014 par ce musicien sorti de nulle part, en Pologne. Dans la lignée du meilleur des Roger Turner, Paul Lovens ou Lê Quan Ninh. Les titres évoquent des approches de l’instrument comme point de départ d’improvisations réussies et de beaux agrégats de sons froissant et résonnant : métaux, peaux, bois, plastique dans une gestuelle qu’on croit deviner : Straight Mute, Decay, Left Hand Shake, Manner and Timbre… Sans « edits » ni collages ! Il fut une époque lointaine où ces albums de percussions solos improvisés étaient monnaie courante (Bennink, Lytton, Centazzo, Oxley, Johansson, Schönenberg, Favre, Turner, Moss, Siracusa, Lê Quan …). Par la suite,  quelques-uns s’y sont encore risqué : Eddie Prévost et Gino Robair, avec Singular Pleasures, il y a plus d’une dizaine d’années, Tatsuya Nakatani, et tout récemment Paul Lytton à nouveau avec ? !  Alors voici Pool North d’Adam Golebiewski, une pièce rare en somme. Un solo de percussion nimbé de silence, de résonances et de fureurs est une expérience à part, tout comme le piano seul, mais dans une dimension toute autre, l’instrument n’étant pas tributaire d’un accordage ou d’échelles de notes conventionnelles.  Les peaux sont ici recouvertes d’objets qu’on froisse, secoue, frappe, gratte, frotte, avec une simultanéité finement coordonnée pour donner l’illusion d’un désordre en mouvement … Le grondement de cymbale frottée sur une peau du morceau d’entrée (Straight Mute) et ses variations inouïes avec les harmoniques vaut à lui seul l’achat du disque. Son langage se distingue clairement de celui d'Eddie Prévost (Loci of Change) ou de Tatsuya Nakatani. Chaque plage apporte sa portion de vie et d’invention et justifie une écoute répétée. N’hésitez pas un instant à plonger dans cet univers, vous en serez récompensé, même si le nom de l’artiste ne vous dit rien. Pour reprendre le terme en usage, foncièrement non-idiomatique et vraiment talentueux. Belle pochette en carton recyclé.
http://adamgolebiewski.bandcamp.com/releases 

Reissues :
Fred Van Hove - Peter Jacquemyn - Damon Smith Burns Longer Balance Point Acoustics BLP BPA-2

Le cédé revient – il « à la mode » ?? Voici que Damon Smith , le bassiste californien installé au Texas, réédite en compact digital ce beau trio de l’anversois Fred Van Hove, le génial pianiste de la free music, avec deux contrebasses jouées par le puissant Peter Jacquemyn et Damon Smith, lui-même. Ce concert a d’ailleurs bien failli ne pas avoir lieu, car le patron de l’Archiduc avait « double booké » cette soirée avec le trio Veryan Weston – Hannah Marshall – Ingrid Laubrock au même programme. La présence de Michaël Huon, un rare ingénieur du son, a immortalisé cette superbe rencontre, deux longues pièces de 27 et 39 minutes séparées par un interlude de 9 minutes et publiées en téléchargement par BPA. Fred Van Hove s’évade dans des cascades aussi limpides qu’échevelées. Ce qu’on aime par dessus-tout chez Van Hove sont ses accents imprévisibles et les couleurs de son magique toucher agitées par des mains qui s'ébrouent sur le clavier comme celles d'un enfant qui s'amuse. Les contrebasses sont sciées par un archet insistant, vrombissent, s’émancipent, glissent dans l’aigu, font corps l’une à l’autre ou se répondent en faisant vriller leurs harmoniques. Peter Jacquemyn et Damon Smith sont en quelque sorte les héritiers de Peter Kowald, un très proche ami de Van Hove qui a habité Anvers à l’époque héroïque de la formation du trio légendaire Brötzmann-Van Hove-Bennink entre 1968 et 1970. L’énergie de Van Hove (né en 1937) n‘a pas pris une ride : ses développements intenses où les deux mains se complètent et se surpassent, traçant des superpositions d’arcs et d’élancements croisés avec une aisance inouïe, un relâchement total comme s’il jouait une balade. Le très vite se métamorphose en lent sans que s’échappe cette sensation de vitesse et d’urgence, cette rapsodie insensée pleine d’émotions, flots bleus virevoltant sur une mer cruelle.

Anthony Braxton & Derek Bailey Duo  Emanem 5038

Cet album fut en son temps considéré comme une borne miliaire de la free music, réunissant deux personnalités hors pair et insignes des deux facettes de la free music des années soixante / septante lors d’un concert historique organisé en 1974 par Martin Davidson le fondateur d’Emanem et producteur de ce double album vinyle. Le lieu, Wigmore Hall, est l’antre du classique bon teint). Deux facettes : la musique afro-américaine libre et la composition contemporaine alternative, l’improvisation totale (Derek Bailey) et l’organisation de celle-ci (Anthony Braxton). Extraordinaire rencontre où Bailey utilise sa fameuse amplification stéréo avec deux pédales. Hautement recommandable ! Trève de commentaires, il faut écouter !! La pochette a un côté dérisoire avec les deux musiciens assis dans un moche jardinet de la banlieue londonienne, mais c'est voulu !! 

The Snake Decides : Evan Parker solo Psi 03.06

Encore une réédition, celle du dernier solo « absolu » d’Evan Parker pour son label Incus en 1986. Musique « archi-connue » pour les afficionados, mais comme il joue très peu en solo depuis une quinzaine d’années, ce disque devient un véritable must. The Snake Decides a été enregistré dans une église par l’as des as des ingénieurs du son, Michaël Gerzon, le génial inventeur du micro Soundfield. Ce génie de la prise de sons est un des plus grands inventeurs en la matière et fut le compagnon enthousiaste des improvisateurs radicaux londoniens durant les années 80. Disparu trop tôt, Gerzon nous laisse en souvenir des enregistrements d’Evan Parker. Ce qu’il y a de particulier dans celui-ci, c’est que le niveau permet aux fréquences d’atteindre la limite ultime où le son live va « craquer ». Il en résulte une puissance sonore, un mordant, une vibration physique qui transforme l’écoute en transe. Variations faussement polyphoniques des extrêmes du sax soprano dont la perce conique permet à ce musicien, un des plus grands saxophonistes vivants, un jeu inouï avec les harmoniques. Avec un jeu de langue par à coups, la respiration circulaire, des doigtés croisés et une maîtrise surhumaine du son, Evan Parker crée un univers sonore démentiel où se croisent et se superposent des extensions hallucinatoires du souffle. Même si c’est devenu un « lieu commun » depuis 1977, c’est toujours aussi « Incroyable » !

5 novembre 2015

Sounding November : Jon Rose Veryan Weston Hannah Marshall Daniel Thompson Steve Noble Phil Wachsmann Paul Lytton

Veryan Weston Jon Rose Hannah Marshall Tuning Out Emanem 5207

Digne successeur des albums Temperaments  (Jon Rose & Veryan Weston Emanem 4207 paru en 2002) et Tunings & Tunes (Jon Rose & Veryan Weston HEyeRMEars Discorbie HDCD 011), le doucle cédé Tuning Out va encore plus loin dans l’exploration sonore de claviers anciens et de violons initiée par le violoniste australien Jon Rose et le pianiste Veryan Weston avec le concours de la violoncelliste Hannah Marshall. Si dans les étapes précédentes du projet, il s’agissait, entre autres, d’accorder autrement pianofortes et clavecins en tenant compte de l’histoire, de la science (des sons) et de l’imagination (notes de pochette de Temperaments), ici c’est Veryan Weston qui enfonce à mi-parcours les tirants de jeu, obtenant ainsi des microtons aléatoires. L’album retrace les pérégrinations du trio lors d’une tournée britannique d’églises situées à Liverpool, York, Sheffield, Newcastle et Londres en mai 2014. Certains de ces orgues d’église sont anciens et ne sont pas au diapason moderne A = 440 Mhz. Une valeur de 420 Mhz est très probable, ce qui oblige les deux cordistes à adapter leur jeu et la tension de leurs cordes à ces fréquences, nouvelles pour eux, mais qui furent le lot des générations passées, il y a plus d’un siècle ou deux et plus. Pour l’amateur averti de free-music, les sons de ces orgues évoqueront l’accordéon de Fred Van Hove ou le concertina de Rudiger Carl ou le fameux vinyle du même Van Hove, Church Organ. Ce n’est pas la première fois que Veryan Weston enregistre avec un orgue (Daybreak de Ian Smith, Emanem 4059 –avec Derek Bailey - ou une plage de Worms Organizing Archdukes avec Lol Coxhill, Emanem 4074) mais c’est la première fois qu’il se lance aussi intensément dans le travail à l’orgue. Pour information, l’orgue est un instrument que Jon Rose connaît aussi pour l’avoir pratiqué. En outre, Jon Rose est crédité « violins » sur la pochette, mais il m’a aimablement informé qu’il s’agissait du violon « normal », d’un violon ténor en scordatura « and a Hardanger fiddle also tuned scordatura ». La première chose qui frappe l’oreille est la symbiose sonore et chromatique du violon, du violoncelle et de l’orgue dans ce trio improbable au point qu’il faille entendre des percussions avec l’archet col legno battuto sur les cordes pour qu’on se dise ah oui  il y a un violon quelque part. La musique a une qualité chambriste remarquable et se situe complètement dans la ligne de l’improvisation libre : de jeux avec les sonorités, le refus de la virtuosité conventionnelle, mais aussi des dialogues au ralenti qui prennent tout leur temps de différencier les sons par le menu. Il s’agit d’une démarche profonde qui interpelle les fondements même de la musique : l’accord « parfait » et les relations tonales dans une perspective historique vers un futur imaginaire situé à l’écart des démarches modernistes des compositeurs du XXème. Ce trio a une singularité très particulière qui mérite qu’on s’y colle question écoute. Lors d’une interview, Evan Parker avait émis l’idée que cinq ou six disques représentatifs de l’improvisation libre (à vous d’en faire la courte liste) permettaient à un auditeur d’en comprendre la démarche. Mais on a vraiment envie d’ajouter Temperaments ou Tuning Out à ces quelques albums bornes miliaires de l’improvisation libre, car après en avoir entendus des centaines, le plus avisé des écouteurs assidus ne se serait vraiment pas attendu à une telle musique !!  On a droit à de longues suites de plus d’une demie heure mis à part le morceau introductif du premier cd  à la Blue Coat Chapel de Liverpool qui fait quand même 18 minutes. La musique transcende une série de démarches  en se créant une identité inclassable. On a évacué toute la violonnerie conventionnelle ou même contemporaine pour une approche qui sollicite les harmoniques et produit un son viscéral aussi joyeusement ludique qu’austère. Je pense qu’en jouant avec un orgue ancien accordé autrement qu’en tempérament égal, Hannah Marshall et Jon Rose approfondissent les écarts entre les notes et les étirent de manière curieuse en symbiose avec les sonorités des tuyaux dont Veryan Weston tire les effets les plus appropriés. C’est un véritable régal. 

Daniel Thompson – Steve Noble  live at hundred years gallery confront ccs 52

Mark Wastell n’interrompt pas les productions Confront qu’il consacre à l’improvisation radicale la plus pointue et la plus achevée en emballant chaque concert enregistré d’un beau boîtier métallique, lequel permet sans doute de le retrouver plus facilement dans les collections interminables des afficionados. Enregistré à la Hundred Years Gallery, un lieu remarquable en bordure de la Kingsland Road qui s’étend du Nord au Sud à travers l’ East End et relie les lieux les plus fameux de l’improvised London : Café Oto, Vortex, Hundred Years Gallery, toute la Stoke Newington High street et les défunts Klinker, et qui tranche par sa programmation plus locale et focalisée sur ce qui se fait de plus frais en ville. En témoigne ce superbe concert qui sort des sentiers battus : une rencontre entre le percussionniste Steve Noble et le guitariste acoustique  Daniel Thompson. Steve Noble se concentre sur les effets de résonance des cymbales (épaisses), gongs et crotales  sur les peaux  des tambours et leurs vibrations mouvantes autour desquelles serpentent les phrases arachnéennes de Daniel Thompson. Il y a une volonté de recherche, une qualité sonore, une finesse qui expriment in vivo l’essence de cette improvisation radicale qui n’en finira pas de nous étonner, même en disque, si on a acquis le flair de dénicher les enregistrements comme celui-ci, vraiment enthousiasmants et hors du temps. Steve Noble s’est fait remarquer avec Brötzmann, Joe McPhee, Derek Bailey et Coxhill  mais après des décennies de pratique (commencées vers 1984) dans cette extraordinaire communauté londonienne, il personnifie aussi l’improvisation libre avec toute son innocence lucide et assumée. Il a trouvé en Daniel Thompson un partenaire à la hauteur et qui finira par nous étonner tant son jeu acquiert audace et pertinence au fil des mois, disque après disque, dans une veine difficile « le post Bailey/ Russell » acoustique. Enchanteur !!

Imagined Time Philipp Wachsmann Paul Lytton Bead Records CD 11

Label initié il y a plus de quarante ans par une bande de potes, Phil Wachsmann, Pete Cusack, Simon Mayo, Tony Wren et Richard Beswick, Bead Records a documenté toute une génération d’improvisateurs dont les susnommés et des artistes rares comme Ian Brighton, Larry Stabbins, David Toop, Paul Burwell, Steve Beresford, Clive Bell, Matt Hutchinson et publia le premier disque des Alterations…. Une autre époque ! Depuis l’ère cd, on y trouve le cheminement d’un des pionniers de l’improvisation libre dont l’influence fut déterminante pour de nombreux improvisateurs, Phil Wachsmann. Son travail avec Fred Van Hove, Paul Rutherford , Barry Guy, Tony Oxley, Phil Minton, Radu Malfatti, Derek Bailey etc… dans les années 80 et 90 font de lui un créateur de premier plan et le violoniste de prédilection de beaucoup. Mais cet arbre quasi-généalogique ne doit pas cacher la forêt de son talent exceptionnel. Il y a longtemps que Wachsmann a remisé les extraordinaires et très sinueuses envolées violonistiques qui sollicitaient un variété confondante de techniques alternatives basées tant sur une connaissance approfondie du dodécaphonisme et des séries que sur les possibilités soniques de l’instrument. Aujourd’hui, il se concentre dans la substance et la réflexion sur l’acte d’improviser, en illustrant comment Less peut être More. Paul Lytton, batteur de l’impossible de l’ultra polyrythmie, nous engage dans son univers improvisé fait d’éléments de percussion étalés dans l’espace et à même le sol, d’ustensiles en tout genre (dont ceux de la cuisine), de cordes tendues sur un cadre et amplifiées dont il modifie le son avec ses live-electronics et des pédales de hi-hat. On est très loin de la batterie virevoltante hyperactive du trio avec Evan Parker et Barry Guy. Paul et Phil ont joué ensemble au temps de leur jeunesse quand le percussionniste habitait Londres et se sont retrouvés avec King Übü Örkestrü, le London Jazz Composers’ Orchestra de Barry Guy et l’Electro-Acoustic Ensemble d’Evan Parker. Leurs deux tempéraments bien différents se rejoignent ici pour de subtiles rêveries où le violon tâte des mélodies sorties de nulle part et des fragments d’improvisation et le percussionniste gratte, frotte ou agite les surfaces des pièces improbables de son capharnaüm sonique. Les titres : Biodigm One, Two, Three etc … suggèrent  que les paradigmes de la musique improvisée sont ceux de la vie même des musiciens qui s’écoutent et s’entendent à nous méduser.  Wachsmann et Lytton sortent des sentiers battus et manient l’art de la suggestion et celui de l’écriture automatique. Un disque remarquable par des improvisateurs incontournables.

« ? » « ! » Paul Lytton solo Pleasure of the Texts Records
https://vimeo.com/126143353 

Voici une ode au bruitisme, aux sons obtenus en grattant, frottant, secouant, percutant de mille manières le bois, les peaux, les métaux, le plastique, le polystyrène, etc.. dans une multitude d’occurrences dont les paramètres changent sans arrêt. Pas de batterie mais une table - et le sol - recouvert d’instruments de percussion, d’ustensiles détournés de leur fonction, de batteurs à œufs amplifiés avec un micro contact ou des cordes de guitares dont la tension oscille avec une pédale de grosse caisse. Secondé par une installation électronique divagante, Paul Lytton actionne plusieurs objets et ses cordages simultanément en créant une polyphonie bruissante qui n’appartient qu’à lui. Donc ceux qui s’attendent à un disque de percussions en seront pour leur frais ! C’est sans doute l’enregistrement de home-made instruments le plus efficace et le plus délirant qu’il nous est donné d’entendre. Dans ces  eaux là, on peut citer des artistes comme Hugh Davies, qui fut une de ses influences, AMM première manière, Steve Beresford avec sa table de jouets et gadgets, Adam Bohman et ses objets amplifiés. Cela convaincra les amateurs de noise. Mais aussi et surtout, Paul Lytton n’a pas son pareil pour coordonner ses gestes et tirer parti des sonorités produites par ses actions simultanées, décalées  et enchaînées avec une belle précision et une forme d’humour flegmatique. Ces sons industriels bruts, voire grinçants sont mouvants et semblent insaisissables, l’auditeur étant perpétuellement en éveil face à ce capharnaüm qui semble s’agiter tout seul. Certains passages sont complètement inouïs ! Un ovni sonore inclassable de grande classe.